La Souika de Najia Abeer

Extrait de : UNIVERSITE DE NANTES - ECOLE POLYTECHNIQUE DE NANTES
ECOLE D’ARCHITECTURE DE NANTES CERMA
ECOLE D’ARCHITECTURE DE GRENOBLE CRESSON
Diplôme d’Etudes Approfondies
Ambiances
Architecturales et Urbaines
Option : Acoustique et Eclairagisme

Nadia SAHRAOUI
 Sous la direction de :
  Olivier BALAY
2006 / 09

Source des citations du texte ci-dessous

.............

Une dimension descriptive vécue dans un micro espace : les ruelles de la Médina, mentionnant ainsi l’univers sonore auquel elle était réceptive.
Les quartiers de l’ancienne ville qui abritent encore des maisons à patios étaient divisés en une multitude de petits sous quartiers (Houma) occupant les quatre angles de la ville dont les limites n'avaient pas de désignation spécifique mais un certain nombre d'appellations particulières.
Chaque quartier avait ses propres caractéristiques sonores qui le différenciaient des espaces de la Médina :
Le Quartier de la Casbah abritait mosquées, maisons particulières, marché et caserne.
Le Quartier Tabia s'étalait sur la partie située à droite en longeant la Rue Si Abdallah jusqu'à la Caserne.
Le Quartier d'El Kantara couvrait toute la partie Sud-est jusqu'au pont.
Le Quartier de Bâb EI Jabia al!ait du Sud de Bâb El Oued à la pointe de la Mosquée de Sidi Rached.
Le Quartier Charaa était l'ensemble résidentiel où s'était regroupée la communauté juive
Le Quartier Marchand de la ville (Rahbat Es-Souf) regroupait boutiques et magasins.
Au-delà du marché l’ambiance devient moins bruyante et offrait des moments de silence dans les ruelles qui mènent aux maisons.
 I.2.1. La ruelle, lieu d’une ambiance permanente
La ruelle est aussi un lieu où des bruits assourdissants interrompent le silence par des réverbérations provenant des cris et des coups de talon des enfants en détresse :
« Nous étions chargées des petites emplettes, légères je l'avoue, mais combien ennuyeuses car il fallait interrompre nos jeux à plusieurs reprises : un verre d'eau de Javel par-ci, un bouquet de persil par-là, un savon de Marseille par-ci, un paquet de cristaux par-là, une branche de céleri, un dé de graines de sésame ou de poivre, un petit verre de paprika, un kilo de charbon de bois... Notre mauvaise volonté se transformait parfois en révolte exprimée par des coups de talon dont seuls les pavés pouvaient mesurer leur intensité » N. Abeer.
L’ambiance devenait plus tendue et les bruits se propageaient parfois dans tout le quartier au moment des disputes entre enfants :
« … si, par malheur, un grand frère intervenait, le quartier tout entier était en ébullition. Les femmes agitaient leurs bras derrière les toits ou sortaient carrément sur le seuil de la maison pour défendre leur garnement. Pendant qu'elles s'envoyaient des mots, les enfants reprenaient leur jeu ou se dispersaient. C'étaient parfois des scènes de ménage à l'échelle de toute la rue, parfois de tout le quartier, et une occasion pour déverser quelque ressentiment trop longtemps retenu…» N. Abeer.
Les ruelles de la Médina sont aussi animées par les crieurs, petits marchants qui vendaient des petites friandises pour enfants, leurs voies soudaines interrompaient l’ambiance calme des gosses qui jouaient devant leurs maisons :
« …dès qu'on entendait la voix du marchand de jujubes, … « Jibjib annaaab» criait le marchand enturbanné, …il criait en regardant vers les fenêtres, d'où jaillissaient une ou deux pièces légères qui rebondissaient sur les pavés. Alors l'ambiance se transformait. On courait chercher une pièce à la maison, …les fainéants ou inquiets s'égosillaient sous leurs fenêtres au point de perdre la voix, sans toutefois perdre le marchand de vue. Tout le monde voulait être servi le premier car les jeux attendaient » N. Abeer.
Par ailleurs, les femmes étaient plus attentives aux voix des vendeuses qui par leurs cris réverbérants, suscitaient leurs curiosités :
« Les plus espérées, surtout par les femmes, étaient les Maltaises. Elles étaient toutes grosses, impossible de les imaginer autrement. Elles arrivaient en balançant leurs larges jupes très froncées à volants chargés de galons, dentelles et rubans satinés, et de velours, broderies anglaises... A vrai dire, ces jupes étaient leur vitrine. Le ballot sur l'épaule, ce qui provoquait un déhanchement très féminin, elles criaient dans leur sabir :
« Dendi, dendiii ! » «Dentelles ! » N. Abeer.
Le son des paroles étrangères qui animait la rue était aussi à l’origine des crises de rires des enfants :
« Ces Maltaises mettaient toute notre rue en effervescence Elles engageaient des discussions interminables et les marchandages se transformaient en véritables palabres. Tout le monde bluffait. Elles parlaient dans un arabo français, ponctué de temps à autre d'interjections purement maltaises qui nous faisaient rire aux larmes » N. Abeer.
Les rues qui se sont souvent spécialisées autour d'une fonction ou d'une activité conduisent aux ruelles étroites, labyrinthiques et pavées où seuls les piétons et les ânes peuvent se déplacer. Elles sont généralement coupées d’impasses, qui n’avaient généralement pas de noms particuliers.
Chaque impasse était désignées par le nom du propriétaire de la principale maison s’y trouvant, Zenkat dar Sidi Boukhobza, par exemple, ou par celui de la mosquée voisine : Zenket Sidi Affane ; enfin, l'on rencontrait de petits carrefours ayant une désignation particulière : comme Kouchet ez Ziate, Ec-Chott, El Harra El Hama, etc.
Les femmes et les enfants circulent de plus en plus dans les rues résidentielles et les ruelles, espaces semi-publics qui se développent généralement à partir de la placette ; elles ont établi un premier degré d’éloignent entre l’espace public (rue, placette) et l’espace privé (maisons d’habitations).
Les ruelles sont marquées par leur largeur moins importante que celle des rues et par leur forme organique. Sur leurs façades aveugles s’ouvrent généralement de petites portes d’habitations. Elles sont caractérisées par l’absence de l’ambiance publique liée aux activités commerciales.
Elles sont souvent « propriété privée » pour les habitants des maisons voisines, où résonnaient en permanence les cris des enfants (effet de réverbération) car elles sont généralement destinées aux jeux des petits :
« La rue, notre rue, exerçait sur nous une magie mille fois supérieure aux toits, aux cigognes, au grenier et à sa fenêtre et à toute cette farandole de feux follets. La rue était notre espace, un lieu qui nous apprenait la vie dans toutes ses libertés. Elle vivait dans une perpétuelle représentation, où les personnages crachaient leur réalité…Elle ne nous imposait aucune contrainte, et c'est pour cela que nous y déversions tout notre petit être sans retenue, elle permettait l'expression gestuelle, orale, spirituelle, elle était l'oxygène. Chaque centimètre carré de mur, chaque portail, chaque pavé, criait avec nous » N. Abeer.
Ces ruelles étaient comme une propriété privée où circulaient des regards curieux attirés par les sons des enfants qui par leurs mouvements et leurs jeux créaient une ambiance permanente :
« Les ruelles de la vieille Souika sont des crèches, des jardins d'enfants improvisés, … lieu parfait pour celui qui sait observer, l'attentif et le curieux. La rue était notre propriété privée et les passants devaient faire attention où mettre les pieds : contourner les lignes d'une marelle, ne pas faire obstacle au coureur du kini, enjamber nos osselets, éviter les cordes qui tournaient, ne pas gêner les joueurs de billes,... et presser le pas pour disparaître le plus vite possible. C'était une cour de récréation sans maître, et qui ne répondait à aucun son de cloche. Ça saute, ça grimpe et ça s'égosille sans freins » N. Abeer.
I.2.1. L’impasse, lieu de réverbération sonore
L’impasse, espace semi-public, est le prolongement de la ruelle. Elle établit un deuxième degré d’éloignement entre l’intérieur privé de la maison et l’extérieur public et semi-public.
Elle est marquée par la forme de l’enclos, espace sans issue qui dessert généralement deux à trois maisons, espace vécu par excellence, marqué par des voies intelligibles.
L’impasse est le lieu où jouaient généralement les plus petites gosses sous le regard attentionné de leurs mères qui reconnaissent leurs voix raisonnantes :
« Chaque mère reconnaissait les voix de sa progéniture et suivait son évolution au simple son de son gosier » N. Abeer.
L’impasse est supposée aussi être un espace intime, privé et calme, notamment le soir et donc selon les moments ou les événements qui s’y déroulent :
« Nous étions libres d'être sages, méchants, muets, calmes ou volubiles. Cette liberté d'action et d'expression forgeait en nous, imperceptiblement, le goût de cette même liberté. Elle se reprenait le soir et se rendait à nous chaque matin ». N. Abeer.
Pendant le mois de carême l’ambiance sonore de cet espace change, les enfants avaient le droit de prolonger leurs jeux jusqu’à une heure tardive du soir. Leurs cris mêlés à leurs chants et à leurs enchantements offraient généralement des réverbération qui déchiraient le silence instauré dans la ville au moment du ftour « Les enfants qui font des jeux particuliers,… et on faisait leur éloge au moment du ftour » N. Abeer.
La cour, lieu d’intelligibilité sonore
Dans la cour de la maison les ambiances sonores prenaient un aspect plus gai lorsque des cris de femmes et des youyous liés à la musique annonçaient un événement heureux, sous les tambours des Issaouas (groupe de chanteurs traditionnels) :
« Beaucoup de musique accompagnaient de youyous stridents et interminables… Les Issaouas étaient venus et des femmes avaient dansé comme des folles. Elles s'agitaient à un rythme qui s'accentuait en même temps que les coups de Benddir (tambour), et la voix des chanteurs s'amplifiait. Certaines s'effondraient par terre et on les arrosait d'eau de fleur d'oranger et d'eau de Cologne pour les ranimer » N. Abeer.
Ces ambiances ordinaires vécues quotidiennement sont parfois masquées complètement par des bruits résonnants qui annonçaient un danger ou une alerte :
« Tout à coup, une sirène lugubre déchira le ciel trop bas et la neige arrêta de crisser sous nos pas. Tout le monde se mit à courir. Certains s'engouffraient dans les maisons en claquant les portes derrière eux, d'autres se faufilaient sous les rideaux des boutiques qui descendaient déjà » N. Abeer.
Le soir le calme régnait sur la ville et les ruelles devenaient un lieu de sagesse et de calme :
« Nous étions là aussi. Rien ne nous échappait et tout nous amusait. Nous étions partout, et le soir, nous laissions toute notre énergie brûlée, calcinée, sur les pavés fatigués de notre rue. Nous n'opposions aucune résistance au moment d'aller au lit, une fois débarbouillés et repus » N. Abeer.
Par ailleurs, les bruit des voitures et des klaxons sont des signatures emblématiques de la ville moderne qui … « Au-delà de la Souika, les rues, trop larges pour moi, n'étaient pas faites de pavés et avaient des trottoirs. Je découvrais les voitures et les klaxons me faisaient tressaillir, les grandes vitrines des magasins noyaient mon regard » N. ABBER.
Dans la Médina ancienne, de la rue (espace public) à l’impasse de la maison (espace privé) nous pouvons retenir une hiérarchisation dans les ambiances sonores qui peut être similaire à la hiérarchisation structurale du système urbain labyrinthique :
« Les toits et les terrasses constituaient à eux seuls un réseau de circulation incontrôlable en plus du labyrinthe que formaient les ruelles, les raccourcis et les petites voies de passage. On pouvait entrer dans une maison et ressortir par une autre dans une autre rue et même un autre quartier, c'est-à-dire trois ou quatre rues plus loin » N. Abeer.
Des lieux de la Médina émerge une ambiance sonore spécifique. Les spécifités subjectives de la sensibilité spatiale tiennent donc à l’importance relative accordée aux ambiances urbaines et architecturales qui forment ses différents espaces et le caractérisent : le volume, la couleur, l’odeur, le matériau, la lumière, et les bruits.
On note donc, à propos du bruit, qu’une dynamique d'appropriation sonore des espaces publics et des espaces privés est décrite par L.Régis et N. Abeer dans une proximité sonore qui relève des différentes activités.
Les récits des deux auteurs nous ont fait remarquer que les souvenirs sonores semblent surtout se rapporter aux types des activités de sociabilité et modes de vie qui étaient en vigueur dans deux époques : ancienne (1880) et une autre très proche datant des années cinquante (1950).
La perception de l’espace public de la Médina relève d’une lisibilité des sens qui se traduit dans la description des ambiances sonores chez Louis Régis.
D’un côté, parce que la perception du bruit est essentiellement culturelle, le bruit, constatécomme élément référentiel est facteur culturel des habitants chez Najia Abeer.
Par ailleurs, il est utile de rappeler que l’organisation de l’espace dans la Médina est caractérisée par une hiérarchisation et une structuration de l’enclos qui peuvent être observées à toutes les échelles de la ville à la maison :
«… la pièce est polyvalente, pour les repas, on apporte une maïda (petite table ronde) que l’on place dans un coin près des divans; pour la nuit, on étale les matelas, on apporte de la réserve attenante nattes et couvertures ; le lendemain matin, tôt, tout est rangé, le sol carrelé est lavé, la pièce reprend sa fonction divine. Espace dégagé dans lequel le centre est vide, la pièce occidentale est organisée autour de la table (ou du lit) qui occupe la partie centrale; sur la table un plateau, sur le plateau un bouquet de fleurs; le centre est marqué, occupé. La pièce algérienne traditionnelle est organisée à partir du pourtour : le centre y est très important pour qu’on l’occupe; on le respecte ; on le laisse vide; seuls s’y croisent les regards. A toute les échelles, l’espace bâti traditionnel est à cette image » Marc Côte (Réf. 03. page 44).
La forme générale de la Médina de Constantine est codé par un ensemble d’éléments urbains hiérarchisés qui le caractérisent : les rues publiques, le souk des métiers, la place du marché.
Par ailleurs, l’espace semi public est composé d’un canevas de rues étroites, sinueuses, sombres, coupées d’impasses qui sont généralement devancées par un sabbat (espace couvert).
Ces éléments ne sont pas des entités séparées, uniquement reliées par des liens fonctionnels, ils présentent des interactions morphologiques d'une grande complexité, facteur de qualité et d'enrichissement. Ils constituent, ainsi, le plan de structuration de la Médina dessiné dans un schéma organique comme un chou-fleur (chaque partie est constituée par les même éléments qui constituent les autres parties) : la ville regroupe dans sa conception des espaces publics (le souk des métiers) et des espaces privés (la partie résidentielle). Le quartier est définit par des espaces publics (les placettes) et les espaces privés (les maisons d’habitations). La maison est conçue par un espace commun (la cour) et un espace intime (les chambres).
L’ensemble de ces éléments est structuré par des parcours hiérarchisés : du macro espace au micro espace c'est-à-dire des espaces les plus animés et bruyants aux espaces les plus calmes. Ainsi chaque élément urbain nous offre, par sa morphologie et ses usages, une ambiance sonore particulière................